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  le blog pcf-nimes

Front de Gauche Nîmes

Intervention de Pierre Laurent lors de la commémoration de Charonne

Publié le 11 Février 2010 par section pcf nimes

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Chers amis, chers camarades

Je suis particulièrement ému, aujourd’hui, en ce 8 février 2010.

Particulièrement ému de me trouver devant vous et d’avoir le privilège de ces quelques mots au nom de la direction nationale du PCF. Je sais en effet qu’ils prolongent une parole reprise par des dizaines d’hommes et de femmes avant moi. Les mots qu’il me faut prononcer aujourd’hui sont le maillon supplémentaire d’une chaîne ininterrompue depuis 1962.

D’un combat pour la mémoire. D’une lutte contre l’oubli. Parce que l’écho de ces événements tragiques résonne encore, et qu’il est la voix qui s’éloigne de ceux qui ont manifesté ce jour-là, de ceux qui sont morts et de ceux qui veulent se souvenir.

Particulièrement ému aussi, permettez moi d’en dire quelques mots, parce que cet écho a toujours résonné en moi, qu’il a traversé mon enfance, a marqué ma mémoire, et fait du combat anticolonial et des valeurs qui l’animaient un repère à jamais incontournable. Les souvenirs familiaux, ici, remontent. Celui d’un père, emprisonné à 28 ans, neuf ans déjà avant Charonne, pour avoir dénoncé une autre guerre coloniale, celle d’Indochine, et qui consacra toute sa jeunesse aux combats anticoloniaux. Celui d’un oncle, jeune ouvrier du 20ème arrondissement d’à peine 30 ans, pris au piège ce jour là à Charonne comme des centaines d’autres, piétiné, réchappé par miracle. Celui de l’attentat perpétré par erreur par l’OAS au domicile que nous avions quitté 5 rue de l’Encheval dans le 19ème arrondissement et qui en détruisit toute la cage d’escalier. Celui de la porte blindée qui dès lors fut installée là où nous habitions, rue Botzaris, et qui, enfant de cinq ans à l’époque, me faisait décidément trouver bien lourde à déplacer la porte du domicile.

En ces temps où la droite qui nous gouverne aime tant réécrire l’histoire, où elle rêve de purger de notre identité les sangs mêlés qui l’ont toujours fortifiée et faite rayonner, où elle prétend blanchir les valeurs d’une nation qu’elle ne fait en vérité que salir , la mémoire est plus que jamais notre combat. Voilà pourquoi nous refusons que l’écho de ces événements tragiques s’éteigne.

Charonne est une blessure toujours ouverte. Les neuf manifestants qui sont tombés ce jour-là sous les coups d’une répression policière brutale ont rejoint d’autres camarades et d’autres militants de la paix et de la justice. Ce sont nos frères et nos sœurs d’hier et d’aujourd’hui. Pas seulement parce qu’ils militaient à la CGT. Pas seulement parce que huit d’entre eux étaient communistes. Mais parce que leurs valeurs et leurs convictions sont plus que jamais les nôtres en 2010.

En février 1962, la guerre d’Algérie durait depuis sept ans. Un million de morts algériens, des centaines de milliers de jeunes français entraînés dans une guerre qui restera comme un traumatisme pour un grand nombre d’entre eux. Alors qu’il semble de plus en plus inévitable que l’Algérie devienne indépendante, des forces fascistes et d’extrême droite se retrouvent au sein de l’OAS. Les actions et les attentats se multiplient et culminent le 7 février. Pour toute réponse des partisans de la paix, la manifestation pacifique du 8 est lancée à l’appel de la C.G.T., la C.F.D.T., l’U.N.E.F., des sections de la F.E.N. et du S.N.I., du Parti communiste, du P.S.U., des jeunesses communistes et du Mouvement de la Paix. Elle est interdite mais la Préfecture de Police laisse faire. En fin de journée, vers 19 heures 30, alors que les manifestants se dispersent ici, sur le boulevard Voltaire, à la hauteur du métro Charonne, la police charge sans prévenir et avec une rare violence.

250 blessés, 8 morts, un neuvième qui meurt après deux mois de coma. Le lendemain, deux millions de personnes cessent le travail, L’Humanité et Libération sont censurés. L’acte est barbare, la terreur est certaine – mais elle n’est pas par hasard.

Les travaux des historiens nous l’ont confirmé depuis : les policiers n’ont pas chargé par hasard et ce n’était pas pour répondre à de soi-disant provocations. Mais l’Etat garde le secret depuis 1962 et refuse de reconnaître ce qui est bel et bien son crime. C’est pourquoi nous nous retrouvons aujourd’hui. C’est pourquoi il faut répéter, année après année, les noms de nos morts : Fanny Dewerpe, Anne-Claude Godeau, Suzanne Martorell, Daniel Ferry qui n’avait que seize ans, Jean-Pierre Bernard, Edouard Lemarchand, Hyppolite Pina, Maurice Pochard et Raymond Wintgens. Ces hommes et ces femmes ne devaient pas mourir, leurs noms ne doivent pas disparaître.

Le 8 février 2007, il y a trois ans, le Maire de Paris a renommé ce carrefour « place du 8 février 1962 ». C’est un premier pas symbolique d’une rare importance. C’est le témoignage de toutes les Parisiennes et de tous les Parisiens. La ville n’oublie pas. Le 8 février 1962 est désormais l’un des noms de la ville. Tout comme le massacre des Algériens le 17 octobre 1961, Pont Saint Michel. Le Préfet de Police était le même, nous le savons, c’était Maurice Papon. Avec nous qui égrainons une nouvelle fois aujourd’hui le nom de nos morts, tous les ans, pour que l’Etat reconnaisse enfin son crime, ce sont toutes celles et ceux qui refusent l’oubli qui font corps.

La guerre d’Algérie et la décolonisation ne sont pas que des moments de l’histoire militaire française. Ce sont des morceaux de mémoire vive, toujours palpitants aujourd’hui. Ce sont aussi des blocs obscurs, des tranches de nuit, que l’Etat ne veut pas accepter. Pourtant le poison est toujours là, parmi les nostalgiques de l’OAS qui ne se cachent pas, et désormais dans les programmes scolaires qui doivent « reconnaître le rôle positif de la présence française outre-mer ». Il est toujours là dans les discriminations quotidiennes, les violences, la division et le racisme. Il ne s’agit pas que de leçons à tirer de la barbarie de notre histoire, c’est un combat qu’il faut continuer de mener, c’est une réalité, la nôtre, qu’il faut entendre.

Charonne est au croisement de notre passé et de notre avenir, une pierre d’angle entre l’histoire et la mémoire. Voilà pourquoi sa vérité est toujours bafouée et refoulée.

Le combat de celles et ceux qui manifestaient à Charonne, des neuf qui ont y ont laissé leur vie, continue. Il est même d'une brûlante actualité. Nous le constatons chaque jour: l’esprit colonial n’est pas mort avec la fin de la guerre d’Algérie. C’est un poison que secrète toujours le système de domination. Quarante huit ans après Charonne, c’est une insulte d’entendre le ministre de l’Intérieur de la France manier impunément la blague raciste à l’égard des Arabes. C’est une indignité de voir la principale chaîne de télévision publique offrir deux heures d’antenne à ce tragique duo Eric Besson-Marine Le Pen pour relayer le pseudo débat gouvernemental sur l’identité nationale. C’est un scandale d’obliger des Français à quémander leur renouvellement de leurs papiers parce que leurs parents ne sont pas nés ici, ou pire encore sont précisément nés dans d’anciens territoires coloniaux, l’Algérie comme bien d’autres. C’est une blessure de voir notre République maintenir tant de travailleurs immigrés sans droits ni papiers à la merci de la plus sauvage des exploitations. Oui, décidément, le combat continue.

Chers amis, chers camarades,

Paris vit avec ses blessures , par ses blessures. Le métro Charonne, le nom de cette place et ceux qui y périrent sont notre mémoire. Je suis ici aujourd’hui, comme vous tous, par devoir. Non seulement par fidélité au passé mais parce qu’il faut se battre pour l’avenir. Non seulement pour les morts, pour nos morts, mais pour les vivants, pour leur dignité et celle de la France.  

Je vous remercie.

 

 

 

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